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Le Leica M5 par Jean
D.
Ci-dessus un des premiers Leica M5 (deux oeillets de courroie), boîtier
chromé présenté de face et de dos, sans objectif.
Une innovation tardive... La mesure de
l'exposition à travers l'objectif (dite TTL, abréviation de through the
lens) fut imaginée en 1939 (brevet déposé par Ihagee, le fabricant de
l'Exakta) puis présentée à la Photokina de 1960 (prototype de l'Asahi
Pentax Spotmatic), incorporée à des 24x36 reflex en 1963 (Topcon super D)
et 1964 (Asahi Pentax Spotmatic, Alpa 9d), mais Leitz attendit 1971 pour
en doter le Leica M : l'irruption du Leica M5, en 1971, bouleversa
les nouveaux canons esthétiques et techniques qui prévalaient à Wetzlar
depuis la révolution instaurée en 1954 par l'avènement du Leica M3...
L'esthétique : comparé à ses trois
prédécesseurs de la lignée M (les M3, M2 et M4), le Leica M5 offre une
ligne très différente et moins séduisante, avec son capot plus banal et
ses extrémités moins harmonieusement arrondies ; en outre, il révèle
un encombrement et un poids supérieurs (hauteur 84 mm, longueur 155 mm et
épaisseur 36 mm)... Ainsi, le Leica M5 paraît nettement plus massif et
moins élégant, en dépit d'une indéniable recherche stylistique se
traduisant notamment par la dissimulation de la manivelle de rembobinage
(cachée dans la semelle) et le déplacement du barillet de commande des
vitesses (devenu coaxial au levier d'armement et au déclencheur, réglable
d'un doigt en conservant l'œil au viseur, car il dépasse légèrement de
l'arête du capot).
La technique maintenant... La
modification essentielle par rapport aux trois prédécesseurs dans la
lignée M est l'apparition d'un posemètre à mesure TTL, dont le capteur
photosensible est mobile, de type photo-résistant (au sulfure de cadmium),
d'un diamètre de 8 mm, couvrant 10 % de la surface de l'image. Ce capteur
est situé à l'extrémité d'un bras pivotant : lors de l'armement, il
vient se placer au centre du champ, contre le premier rideau, le
photographe peut alors régler l'exposition en mode semi-automatique, et
lors du déclenchement le bras se rabat vivement, escamotant le capteur
juste avant l'ouverture de ce rideau. Ce mécanisme n'entraîne aucun bruit
supplémentaire : le déclenchement du Leica M5 demeure même
extrêmement silencieux, notamment grâce à l'amortissement de l'obturateur
encore amélioré. Le réglage de l'exposition se fait par la superposition
de l'aiguille du galvanomètre et d'un index indiquant la vitesse choisie,
visibles en bas du viseur (une barrette translucide éclaire ces repères,
située sur l'arête du capot, au dessus du viseur). La déviation de cette
aiguille est variable en fonction de l'intensité lumineuse reçue par le
capteur, modérée par le diaphragme de l'objectif ; la position sur
l'index est liée à la vitesse choisie et au réglage de la sensibilité du
film (qui se fait sur le capot, gradué en indices DIN et ASA, de 6 à 3200
ASA). Le posemètre peut évaluer des temps de pose compris entre le
1/1000ème de seconde et 30 secondes ;
l'évaluation entre 1 et 30 secondes doit être lue en observant le disque
du barillet des vitesses, le long d'un arc correspondant à une amplitude
de la pause B comprise entre les deux symboles B1 et B30 (les repères, non
crantés, indiquent les temps de 1, 2, 4, 8, 15 et 30 secondes et
l'obturateur doit, bien sûr, être commandé manuellement). Le viseur est
du type Leica M4 : quatre cadres indiquent le champ couvert par les
objectifs de 35, 50, 90 et 135 mm de distance focale ; à la base du
viseur, l'alignement de l'affichage de la vitesse d'obturation, de l'index
et de l'aiguille du galvanomètre remplace le segment inférieur du cadre de
35 mm. Le champ de mesure spot est indiqué au centre du cadre de 50 mm par
quatre arcs de cercle (correspondant à un angle de 21°), et pour le cadre
de 35 mm par celui de 135 mm (qui apparaît simultanément). Le circuit
électrique est mis sous tension par l'armement de l'obturateur, et
interrompu par son déclenchement ; l'état de la pile-bouton peut être
vérifié au moyen du levier sélecteur des cadres, qui dispose ainsi d'une
fonction supplémentaire lorsqu'on le pousse à l'opposé de
l'objectif ; le logement de cette pile est situé au milieu du côté
gauche (dans le sens de visée), entre les deux oeillets plats de
courroie ; l'obturateur peut, bien sûr, continuer à fonctionner si la
pile devient hors d'usage.
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Ci-contre, le profil gauche d'un Leica M5, montrant le logement
de la pile-bouton entre les deux oeillets de courroie.
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Quelques innovations mineures... On
reconnaît de nombreux emprunts à des modèles antérieurs, comme par exemple
le compteur de vues du Leica M3 ou le levier d'armement articulé du Leica
M4, mais certaines particularités caractérisent le nouveau modèle :
- L'obturateur du Leica M5 ne dispose plus de la vitesse 1 seconde.
- Le chargement du film est rapide, de type Leica M4, mais néanmoins
avec bobine amovible.
- La griffe porte-accessoires est munie d'un contact central pour
flash électronique (la synchronisation demeure au
1/50ème de seconde) ; deux prises pour
flashes magnésique et électronique sont cependant maintenues sur la face
arrière du capot, du standard adopté avec le Leica M4. Le numéro du
boîtier est gravé latéralement sur cette griffe.
- Le plan du film est symbolisé par un repère gravé sur le capot.
- Les gravures sont différentes de celles des trois Leica M
précédents : la mention ERNST LEITZ GMBH a disparu, de même que le
beau logo Leica manuscrit qui est remplacé par l'autre logo manuscrit
Leitz, souligné par la mention de l'origine WETZLAR GERMANY, qui
subsiste. L'inscription en lettres majuscules LEICA M5 s'affiche, de
façon un peu voyante, sur la face avant du capot.
- Abandon du sceau de cire dissimulant la tête de la vis qui assemble
la baïonnette au capot.
- Sur les premiers modèles, deux oeillets plats de courroie sont
situés sur le côté gauche, de sorte que le Leica M5 pend verticalement
lorsque le photographe le porte à l'épaule, mais un troisième oeillet
plat a été ajouté sur les modèles ultérieurs sur le côté droit du capot,
permettant d'adopter à volonté une position plus conventionnelle.
Ci-dessus un Leica M5 plus récent (trois oeillets de courroie), boîtier
anodisé noir présenté sans objectif.
Les objectifs et la Visoflex
- Tous les objectifs en monture M sont utilisables sur le Leica M5,
mais :
- trois objectifs doivent être modifiés (par un fraisage dans la
baïonnette) afin d'empêcher le bras du capteur du posemètre de pivoter
et de venir heurter leur partie arrière, qui pénètre trop profondément
dans le boîtier :
- Super-Angulon f:4/21 mm - Super-Angulon
f:3,4/21 mm (n° inférieur à 2473251) - Elmarit f:2,8/28 mm (n°
inférieur à 2314921) Evidemment, le posemètre devient inutilisable
avec ces objectifs !
- deux objectifs doivent être modifiés, car le correcteur de viseur
et la monture sont incompatibles avec la légère saillie du capot qui
porte les trois fenêtres du bloc viseur-télémètre :
- Summaron
f:3,5/35 mm à correcteur de viseur pour Leica M3 - Summicron f:2/50
mm à mise au point rapprochée
- Amusant et inattendu... La profondeur de pénétration des sept
objectifs à monture rentrante (à pas de vis ou à baïonnette) doit être
limitée en cas d'utilisation sur un Leica M5, afin de ne pas risquer de
venir heurter le capteur : dans son catalogue général de 1973,
Leitz ne propose rien de mieux que l'utilisation d'une bande adhésive
Dymo de largeur appropriée, à enrouler autour de la coulisse, et
conseille de réaliser préalablement un patron en papier pour découper
convenablement cette bande !
- Il est possible de monter les chambres reflex Visoflex I (au moyen
de la bague n° 14099) et Visoflex III sur le Leica M5 (mais pas la
Visoflex II) ; pour utiliser le posemètre, il faut bien sûr relever
le miroir.
Edition spéciale ! Le cinquantième
anniversaire de la production du Leica a été célébré en 1975 par la
fabrication de séries spéciales des modèles M4, M5, CL et Leicaflex
SL2 : chaque boîtier comporte un numéro particulier à trois chiffres
précédé de l'une des lettres du nom LEICA, et cette gravure assez
discrète, en façade : 50 Jahre (signifiant 50 ans), ornée de part et
d'autre de deux feuilles de chêne... 1750 Leica M5 commémoratifs 50 Jahre
ont été fabriqués.

Ci-dessus un Leica M5 50 Jahre, boîtier anodisé noir présenté de face
et de dos, sans objectif. Remarquer, sous la prise de flash gauche, le
numéro particulier identifiant un boîtier appartenant à cette édition
spéciale.
Production Le Leica M5 a été produit
pendant cinq ans (1971-1975), entre les numéros 1287001 et 1384000 :
10750 boîtiers chromés et 23150 boîtiers anodisés noir.
Conclusion Le Leica M5 est un excellent
appareil qui constitue une branche très particulière de l'arbre
généalogique du Leica, s'écartant du reste de la ramure. Sa conception
témoigne d'une intense réflexion technologique, mais son avènement se
produisit en une conjoncture peu favorable... La concurrence nippone
devenait âpre et les appareils reflex gagnaient inexorablement du terrain.
Les composants électroniques n'étaient pas encore suffisamment
miniaturisés, de sorte que Leitz dut s'écarter de l'esthétique superbe
introduite par le Leica M3, afin de disposer de suffisamment de place pour
incorporer un posemètre TTL... Une bonne partie des adeptes du M furent
déroutés par l'aspect du nouveau modèle et boudèrent le Leica M5 (on
évoqua même injustement l'erreur de Wetzlar), dont la commercialisation ne
répondit pas à l'attente de Leitz, qui connut rapidement une période
difficile... Les mérites du Leica M5 furent redécouverts vers 1993 par les
collectionneurs japonais. Il est intéressant de constater la résurgence du
posemètre TTL, réapparaissant à Wetzlar en 1984 avec le Leica M6, paré de
l'apparence tutélaire du Leica M3 (à quelques nuances près) : la
miniaturisation des composants électroniques et la sensibilité des
éléments photo-récepteurs ayant progressé, Leitz a réussi cette prouesse
impossible à réaliser treize ans auparavant. Agitant son étonnant petit
bras pivotant photosensible, le Leica M5 salue son jeune frère avec
quelque amertume : le capteur du cadet a été déplacé et demeure
désormais immobile, contemplant la pleine lune peinte sur le premier
rideau, l'électronique s'est faite fluette et la branche du Leica M6 se
fond beaucoup mieux que celle de son aîné dans l'harmonieuse ramure
dessinant l'évolution du Leica...
Ci-dessus un Leica M5 à trois oeillets de courroie, boîtier chromé
équipé de l'objectif Summilux f:1,4/50 mm (première version).
Un lien vers le manuel d'instructions d'époque (en anglais) : cliquer
ici.
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